Notre passion: restaurer des pianos depuis 1930

Accordeur de piano à 90 ans – Gilbert Bécaud exigeait ses services

Gilbert BécaudArticles du Journal de Montréal vraiment intéressant. Je vous la partage.

Même s’il a célébré ses 90 ans le 8 octobre dernier, Paul-Émile Bertrand a encore l’ouïe fine. Il « ne se fait pas tirer l’oreille » pour accorder les pianos de ses voisins à la huppée résidence pour retraités autonomes qu’il habite depuis trois ans.

« Il y a 63 ans que j’accorde des pianos. J’ai été très actif pendant 6 décennies, ayant eu quelque 900 clients où j’allais en moyenne 2 fois par année, car un piano, dit-il, c’est fragile aux humeurs du temps, à l’humidité et aux réflecteurs. J’en accordais jusqu’à 6 par jour à 2,50 $ à l’époque, dans les années 50. Aujourd’hui, la facture fluctue entre 100 et 120 dollars. »

Par passion et par hasard

À 21 ans, M. Bertrand s’est fait amputer deux doigts de la main droite – l’auriculaire et l’annulaire – et a perdu l’usage du majeur qui lui a été greffé. « Je travaillais dans la soudure et ma main est restée coincée entre deux rouleaux alors que je manipulais une feuille d’acier… J’ai été hospitalisé neuf mois. »

Pour toute indemnité, il a touché 600 $ : 10 $ par mois pendant 5 ans!

« Je ne sais par quel hasard, mais, à ma sortie de l’hôpital, j’ai assisté par curiosité à une conférence sur la fabrication et l’accord d’un piano. Même si je n’avais rien compris, ça a été le coup de foudre! Devant l’intérêt que je manifestais, le conférencier hollandais Van Rentwyck m’a promis que j’en saurais davantage à sa prochaine visite. J’ai ensuite suivi une formation de quatre ans au lieu de cinq, parce que j’avais déjà des notions musicales, ayant appris le violon à huit ans. C’est lui-même, à Chicago en 1950, qui m’a remis le diplôme d’accordeur de la School of Pianoforte Technology. »

Paul-Émile Bertrand a complètement rebâti un vieux piano qui a été le sien, a occupé le poste de contremaître dans une manufacture de pianos, puis ceux d’accordeur et de régisseur, notamment à la Place des Arts.

Sollicité partout

« J’ai accordé les pianos de plusieurs communautés religieuses. Ça m’a aidé à me bâtir une réputation, car lorsque les sœurs te font confiance, c’est parce que tu es bon, dit-il sans fausse modestie.

« Le comédien Gratien Gélinas, alors propriétaire du théâtre la Comédie-Canadienne, a retenu mes services jusqu’à ce qu’il ferme les portes en 1973… L’endroit est aujourd’hui devenu le Théâtre du Nouveau Monde.

« À la Comédie-Canadienne, j’ai accordé le piano de plusieurs grandes stars internationales, dont celui de Gilbert Bécaud. “ Monsieur 100 000 volts ” exigeait que je sois son accordeur de piano. En raison de sa tonalité, il voulait que le diapason au milieu du piano soit de 880 vibrations/seconde au lieu de 440 et qu’elles soient réparties d’octave en octave… Ça a été pour moi un bien grand honneur! »

Il meuble fort bien sa solitude

Parmi les personnalités qui ont eu recours à ses services, la réputée contralto Maureen Forrester a été l’une de ses premières clientes. Il a aussi travaillé en collaboration avec Jacques Brel, Mireille Mathieu, Robert Charlebois, Gilles Vigneault, Claude Léveillée, Georges D’Or, Sylvain Lelièvre, Monique Leyrac et le pianiste et compositeur Pierre Brabant, auteur de la musique du téléroman Rue des Pignons, directeur musical et arrangeur, notamment des disques de Félix Leclerc.

Une agréable surprise

Il y a quelques années, Paul-Émile Bertrand a eu l’agréable surprise d’être invité à l’école secondaire de Woodstock au Nouveau-Brunswick pour y accorder le piano que l’institution venait d’acquérir. Il a vite compris pourquoi il était là lorsqu’un ancien pianiste de la Place des Arts a été appelé – sourire aux lèvres – à valider son travail. « Ça demeure pour moi un très bon souvenir et une très belle marque de reconnaissance. »

Noëlla l’a quitté

Noëlla, avec qui il était marié depuis 67 ans, est décédée en juillet dernier à 95 ans. Elle lui a donné deux filles, Louise et Monique; deux fils, André et Jean; et un fils adoptif, Denis. Ainsi, avec cinq petits-enfants, il n’est plus tout à fait seul.

À part l’actualité et les sports qu’il suit à la télé, Paul-Émile s’est fait des amis et meuble fort bien son temps en jouant du piano et de ce violon qu’il avait depuis longtemps remisé. Il joue parfois aux quilles de la main gauche, par la force des choses, et, comme autre loisir, il convertit des cassettes VHS en DVD.

Oui, Paul-Émile Bertrand vieillit bien et se laisse bercer par des souvenirs pourtant pas si lointains.

Journal de Montréal

 

 

MARCEL GAUDETTE

Publié le: 

Journal de Montréal: http://www.journaldemontreal.com/accueil